La silhouette sculpturale du I-PACE, excessivement proche du prototype dévoilé à Los Angeles en 2016, charme l’œil. Elle communique la modernité sans tomber dans l’excessif. La trappe d’air dans le capot et l’aileron ajouré contribuent à l’excellent coefficient de pénétration dans l’air de 0,29. Le pavillon panoramique en verre se passe de pare-soleil en vertu d’un intense traitement anti-UV.
Son empreinte ressemble à celle d’un Porsche Macan, mais son habitabilité vaut celle d’une Jaguar XJ à empattement allongé grâce à l’absence de pièces mécaniques classiques, ce qui a permis aux designers et ingénieurs de repousser les roues aux extrémités afin d’obtenir une cabine fort spacieuse, elle-même flanquée de deux soutes à bagages, l’une menue à l’avant (27 litres), l’autre généreuse à l’arrière (656 litres) et même extensible (1 453 litres), une fois les dossiers 60/40 de la banquette abaissés.
Enfin, son autonomie de 386 km grâce à ses batteries au lithium-ion d’une capacité de 90 kWh (une mesure européenne donne 480 km, mais il est préférable de ne pas s’y fier), sa vitesse maxi de 200 km/h, son 0-100 km/h en 4,8 secondes, ses deux moteurs électriques (un par essieu) jumelés à la transmission à vitesse unique qui fournissent une traction intégrale permanente, sa puissance totale de 394 chevaux et son couple de 512 lb-pi sont des spécifications qui s’avèrent aussi convaincantes sur papier que sur la route.
L’instrumentation du I-PACE marie le chic traditionnel de Jaguar (chrome, cuir et boutons) à l’avant-gardisme obligatoire d’un véhicule branché : jusqu’à quatre écrans d’affichage, six prises USB, une navigation qui mémorise vos parcours les plus fréquents, votre style de conduite et le trafic pour calculer la faisabilité de votre trajet selon la charge restante, et plusieurs fonctions reliées aux applications de votre téléphone intelligent, comme le préchauffage de l’habitacle ou le verrouillage de l’auto à partir de son salon.
Les propriétaires du I-PACE S, le modèle de base offert à 86 500$, seront rassurés par son autonomie (d’accord, qui chutera d’au moins 30% par très grands froids au Québec). La recharge sur du 220V à la maison prendra jusqu’à 13 heures si vous y branchez votre I-PACE presque totalement vidé de son jus. Avec un chargeur de niveau 3, du genre qui commence à se répandre à travers la province, vous obtiendrez 80% de la capacité en 40 minutes. Oubliez la prise domestique à 110V, vous en aurez pour l’éternité à patienter.
Une fois au volant, vous avez des décisions à prendre. Par exemple, en ce qui concerne la capture d’énergie que provoque le freinage, la voulez-vous modérée ou puissante ? Vous cocherez la case sur l’écran d’affichage principal. L’idéal est d’opter pour une régénération robuste puisqu’elle recharge mieux le véhicule pendant qu’il roule. Mais Jaguar reconnaît que des gens aiment moins la sensation que communiquent des arrêts électrifiés et leur donne donc le loisir d’expérimenter un freinage un brin plus normal. Mais, entre nous, pourquoi alors acheter un VÉ ?
L’autre décision concerne le silence à bord. On le sait, l’un des charmes du VÉ est de pouvoir filer avec le silence comme seul compagnon. Jaguar a enrichi cette tranquillité en dotant son véhicule d’un gadget inédit. À son plus faible réglage, une technologie, similaire à celle que Bose utilise dans ses écouteurs pour annuler les bruits parasites, transforme l’ambiance à bord en monastère bouddhiste du Tibet. Le I-PACE émettra à peine un « woosh » caractéristique au moment d’écraser le champignon.
Mais si vous souhaitez entendre gronder le félin parce que le véhicule, après tout, est capable de performances dignes d’un fauve, le bidule électronique ajoutera un grondement à vos départs précipités.
Le jury délibère encore pour décider de ce qui est mieux : le calme qui sied naturellement à un VÉ ou des borborygmes qui rappellent vaguement un « muscle car », mais étouffé. Vous ferez comme moi et vous essaierez les deux avant de trancher.
Le I-PACE ne se contente pas de briller en ville ou sur l’autoroute. Dans le cadre du lancement international organisé en Algarve, dans le sud du Portugal, Jaguar s’est arrangé pour que nous puissions tester son multisegment électrique sur un parcours tout-terrain et sur une piste de course.
Le trajet hors route comportait un cours d’eau assez profond pour y faire flotter un ponton, des descentes à pic et des montées assez pentues pour s’inquiéter si le devant du véhicule n’allait pas se soulever et nous ramener cul par-dessus tête au pied de la montagne. Au terme de chacune de ces épreuves, le I-PACE est sorti vainqueur. À vrai dire, quand on y pense, il n’y a pas de quoi être vraiment surpris. Jaguar n’a qu’à piger dans le coffre à outils de Land Rover pour transformer ses véhicules en chamois. Mais je ne m’attendais pas à ce que la réalité dépasse autant la théorie.
Vous allez me dire que l’acheteur typique de I-PACE ne jouera jamais ainsi au casse-cou avec sa rutilante machine et je réponds que son beau véhicule s’en sortira sans une égratignure en s’occupant de tout, ou presque. Il suffit de soulever la suspension pneumatique de 10 mm (l’affaire d’un bouton) puis d’enclencher le système ASPC (All Surface Progress Control) pour voir le I-PACE dévaler et escalader à la vitesse de notre choix sans toucher aux pédales. Notre seule tâche : tenir le volant.
Cinq minutes après avoir joué au coureur des bois, nous avons entrainé notre monture au Autodromo Internacional Algarve, une piste de course de calibre F1. Non seulement comprend-elle 15 virages les uns plus techniques que les autres, certains d’entre eux se négocient à l’aveugle, c’est-à-dire en montant une pente sans voir où se sauve la piste de l’autre côté…
Heureusement, un pilote professionnel avait pris place dans le siège du passager. Sinon, je ne serais pas ici pour vous raconter mon essai. Quand je n’avais aucune idée comment se déroulait le ruban d’asphalte au-delà de la bute, Adriano me disait : « allez, le pied au plancher et tout droit, fais-moi confiance ! »
Je lui ai fait confiance. Outre les petites et grandes frousses qui m’ont parcouru l’échine, je dois reconnaître que le I-PACE, encore une fois, m’a drôlement impressionné.
Le fait d’abord que ses batteries soient étalées sous le plancher de la cabine et que son poids de plus de deux tonnes soit réparti moitié-moitié sur les deux essieux procure un centre de gravité bas et un équilibre qui facilitent grandement la stabilité dans les courbes. Ajoutez-y la carcasse très robuste, composée d’aluminium à 94%, et la traction intégrale et vous avez entre les mains une automobile qui met de votre côté toutes les chances pour rester en vie tout en signant des prouesses au volant.
Par ailleurs, on sait que l’art de la piste consiste à savoir quand freiner et quand remettre les gaz. Les freins à disque du I-PACE, beaucoup plus sollicités que lorsque l’on s’amuse en ville à ne jamais y toucher en s’immobilisant par simple décélération régénérative, offrent un mordant rassurant. Quant aux accélérations, elles sont stupéfiantes et surtout instantanées. Dès que le point de corde est franchi, on sent la cavalerie des électrons qui remet ça de plus belle.
En deux mots, brillant et étonnant !
Alors, monsieur le chroniqueur, il est sans défauts, votre I-PACE ? Vous savez que nous aimons traquer la bête noire, alors en voici deux.
D’abord, le I-PACE n’est pas conçu pour remorquer (Jaguar n’offre même pas la « boule »). Deuxièmement, si plusieurs marques proposent de série sur leurs modèles d’entrée de gamme beaucoup moins chers un « ensemble hiver » pour lequel il faut débourser un extra aux États-Unis, Jaguar a décidé de ne pas le faire au Canada, ni ailleurs dans le monde. Pour obtenir des sièges chauffants standards, il faut passer aux versions SE (92 500$) et HSE (96 500$). Le raisonnement : par souci de simplification, tous les pays sont traités de la même façon.
Ça se défend (un peu), mais quand on sait qu’une pléiade de véhicules sous les 30 000$ propose des sièges chauffants sans supplément, ça agace aussi. Et puis, si Jaguar veut uniformiser son offre, pourquoi les Américains ont-ils droit à une garantie de 5 ans/100 000 km versus 4 ans/80 000 km pour les Canadiens ?
Ah oui : si votre budget le permet, vous songerez à la variante First Edition (103 500$) qui ajoute des gâteries et qui sera disponible 12 mois sans quantité limitée.
En somme, le Jaguar I-PACE vient souffler dans le cou du Model X de Tesla avec un véhicule à peu près parfait pour plusieurs milliers de dollars de moins. D’ici à ce que ce genre de produit intelligent se démocratise, les premiers acheteurs auront raison de se péter les bretelles.