Le Redeye est le diable incarné, et à bien des égards! Avec ses 797 chevaux de l’enfer, vous voudrez certainement invoquer tous les saints du ciel dès la première accélération. C’est aussi l’incarnation même du « mal », le mal environnemental. Un anachronisme ambulant qui fait un doigt d’honneur à la planète.
Le Challenger tel qu’on le connaît roule sa bosse depuis 2009 et sans grand changement. Autant la mode rétro n’a pas réussi à tous, autant dans son cas, on dirait que le temps n’a eu aucune emprise. Personnellement, j’aime encore son charme. L’édition Redeye Widebody lui donne un second souffle avec son apparence très « bad boy ».
Dans l’ensemble, on reconnaît le Challenger au premier coup d’œil. Sur le capot, on aperçoit les deux prises d’air servant à l’alimentation du compresseur volumétrique. C’est typique au Hellcat. Comme son nom le dit (Widebody), le « corps » est large! Les ailes élargies permettent de repousser les roues vers l’extérieur et d’adopter des pneus tout aussi larges… du 305. Fait particulier, ces 305 se retrouvent autant à l’avant qu’à l’arrière. Considérant qu’il s’agit d’une propulsion, ce choix est plutôt étrange.
Quelques options agrémentaient mon véhicule d’essai : un aileron de type Barracuda (875 $), un capot noir mat (1 500 $) et surtout, le Violet prune (100 $). Disons que le nom de cette teinte historique – Crazy Plum – sonne un peu mieux en anglais!
La mode rétro c’est bien beau, mais dans l’habitacle, considérant le prix du véhicule (117 200 $), j’espérais pas mal mieux. Le look est vieillot. Après tout, c’est la même planche de bord depuis 2015. Il serait temps que les concepteurs nous arrivent avec une présentation plus moderne. FCA pourrait facilement surpasser la compétition (Camaro, Mustang) en intégrant l’écran géant du RAM, mais non. Le tout est assez enveloppant avec le tableau de bord légèrement orienté vers le conducteur. La tentative de décoration en faux aluminium ne convainc personne. À ce prix, on s’attendait à ce que Dodge offre une véritable applique en alu.
Bonne nouvelle, l’ergonomie fait un sans-faute. Encore une fois le système Uconnect (770 $) demeure une référence dans le monde automobile. Il se montre simple et intuitif à manipuler. On obtient une collection de tableaux illustrant les performances et les points dynamiques du véhicule. Je vous suggère d’ailleurs fortement de vous préparer avant de partir, car ça peut vite devenir une distraction.
Les sièges m’étonnent chaque fois que je prends place dans un Challenger. Ce sont carrément des La-Z-Boy tant ils sont imposants. Simplement en leur donnant une taille normale, je pense que la voiture perdrait 20 livres! Considérant le caractère violent et dynamique du Redeye, je m’attendais à des assises plus enveloppantes, plus orientées vers la performance. Ce n’est pas le cas. On obtient un minimum de support latéral. Dodge palie à la problématique en recouvrant les sièges d’Alcantara.
Le Challenger propose quatre vraies places à bord. L’accès à l’arrière demande plusieurs contorsions, mais une fois en position, on y trouve un certain confort. Il est aussi possible de tout simplement les faire retirer en usine (sans frais) pour alléger le bolide. Quant au coffre, il Challenger offre un maigre 459 litres. C’est peu considérant sa taille.
Où se trouve la limite exactement? Il y a eu le Hellcat avec ses 707 cheveux, puis le Demon à 840 ch. Au moins, ce dernier n’a pas duré plus d’un an. Maintenant, c’est tour du Redeye Widebody avec 797 chevaux et couple de 707 lb-pi. Sérieux? Qui a besoin d’un V8 de 6,2 litres à compresseur volumétrique d’une telle puissance? Comment se peut-il qu'il soit légal, écologiquement parlant, en 2019? C’est d’autant plus perturbant que son châssis peine à contenir le tout. Heureusement, la transmission à huit rapports tient le coup, du moins durant la période de mon essai.
Bien que la plateforme montre fréquemment des signes de faiblesse, Dodge s’est fait un point d’honneur d’intégrer des modes de conduite qui permettent à ce Challenger d’avoir de multiples personnalités. Selon la configuration choisie, on constate d’importantes variations dans la direction, les suspensions, le moteur et la transmission. Histoire de contenir occasionnellement le bolide, il est possible d’opter pour un peu plus de décence en limitant la cavalerie à 500 chevaux. La clé rouge permet de débrider la bête, alors que la noire la restreint de facto à 500 ch (un genre de surveillance parentale).
Si je fais abstraction de l’absurdité de la puissance, je dois souligner que c’est tout un V8. Bien sûr, on ne voit pas la fin, il y en a toujours. Il pousse, pousse et pousse encore. Heureusement, la transmission travaille particulièrement bien. Pour stopper cette masse de 2 019 kg en plein élan, Dodge propose sur cette version des freins Brembo. J’ai bien senti leur vigueur, mais tout autant les lois de la physique. Le bolide est tellement lourd qu’il faut jouer de prudence et garder une distance avec ce qui nous précède. D’ailleurs, le nez plonge anormalement pour une voiture sport.
En ligne droite, ça va bien. Malheureusement, la vie ne se déroule pas sur une piste d’accélération. Il y a bel et bien des courbes et des virages sur notre circuit routier et parfois, ils sont serrés! Je ne comprends pas le choix de Dodge de mettre des pneus aussi larges à l’avant de cette version du Challenger. Elle vire difficilement. À basse vitesse, on a même la sensation de ne pas avoir de direction assistée et il n’est pas rare de sentir des coups tant le véhicule peine dans ce simple exercice.
Puisque l’on jouit de plusieurs modes de conduite, on peut jouer avec la souplesse des suspensions; c’est une excellente nouvelle. Elles passent de molasses à très fermes grâce à la simple pression d’un bouton. Sur ce point, FCA a bien fait. Lorsqu’on opte pour le mode Track ou Sport, on remarque constamment un effet « balle de ping-pong » au train avant tant les dégagements sont restreints. En contrepartie, configurée en Confort ou ECO (oui, il y a un mode « ECO »), la voiture offre un roulement agréable pour une conduite de tous les jours.
La sonorité mécanique se montre totalement enivrante. Le grondement sourd et guttural du V8 m’a séduit. Par contre, ses vibrations sont telles qu’après quelques heures derrière le volant, les oreilles nous bourdonnent.
Le Redeye est fait pour la piste, pas pour la route. Son comportement général n’inspire pas la stabilité. Dodge a beau avoir modifié le véhicule, la cavalerie est trop puissante et on le sent trop bien. La moindre bosse dans une courbe et l’arrière sautille, se déstabilise. Malgré leur largeur, les pneus avant sous-virent constamment dès qu’on entame un virage avec un peu d’entrain.
Dans l’ensemble, j’ai perçu une calibration générale défaillante. Ce bolide ne doit pas se retrouver entre les mains de néophytes du volant.
La consommation moyenne obtenue durant mon essai : 15,1 litres/100 km. Considérant la puissance du moteur, vous me direz que ce n’est pas si mal. Il faut aussi souligner qu’après deux jours à m’amuser et à voir l’aiguille du réservoir à essence chuter, je me suis calmé.
Dans un monde évoluant vers de nouvelles technologies, cette version du Challenger représente l’Antéchrist de l’écologie. Je ne m’estime pas fou furieux de l’environnement, mais j’y suis sensible. Aussi exceptionnel que puisse être ce moteur, je pense que dans le contexte actuel, il n’aurait jamais dû être créé. Au-delà du plaisir totalement irresponsable que le Challenger SRT Hellcat Redeye Widebody nous procure, je préfère la voir comme un futur objet de collection. Pour moi, c’est la seule justification rationnelle qui explique son achat.