Lorsque j’ai commencé dans le métier, j’ai rapidement compris qu’une bonne relation avec les constructeurs automobiles était importante, voire primordiale. Naïf, je débutais mon métier à une époque où le Web était encore observé de haut par les firmes de marketing comme par les constructeurs automobiles, qui n’y voyaient aucun intérêt. Ainsi, le jeune journaliste inexpérimenté que j’étais se faisait prêter de temps à autre des voitures aux fins d’essais par certains constructeurs, une fois que les médias plus « importants », tels télé, journaux et radio y avaient eu accès. Souvent, on me confiait aussi les voitures que personne ne voulait conduire. Les modèles en fin de carrière ou, disons, moins excitants. À une certaine époque, j’étais d’ailleurs apprécié des gens de Daewoo et de Suzuki (!), parce que j’acceptais de conduire leurs voitures alors que la plupart des journalistes s’en fichaient. Les temps ont bien changé…
Aujourd’hui, après quinze ans de métier, j’ai évidemment moins de difficulté à me faire entendre. J’ai réussi à faire ma marque, non pas sans en avoir bavé, mais en effectuant les choses par étape. Je suis toujours aussi passionné par le métier qu’à mes débuts, même si j’admets parfois me lasser de conduire certains véhicules qui pour moi, sont trop génériques. Difficile d’expliquer au commun des automobilistes que j’ai dix fois plus de plaisir à prendre le volant de ma vieille guimbarde de Volkswagen Scirocco que de mettre à l’essai la toute dernière mouture du Nissan Pathfinder. Pour ça, il faut être un vrai passionné…et peut-être un peu fou. Qu’à cela ne tienne, je conduis une quantité phénoménale de véhicules qui chaque année m’intriguent, me séduisent, m’impressionnent ou me déçoivent. Bien sûr, je tente au meilleur de ma connaissance de faire une analyse approfondie, juste, et parfois colorée, en informant adéquatement les gens et en mettant un peu d’épices, lorsqu’il le faut.
Maintenant, le plus gros défi auquel je fais face chaque année, c’est de dire la vérité. Une vérité basée sur une analyse précise, qui s’adresse aux acheteurs du Québec. Je me donne évidemment le droit à l’erreur, et maintiens que le chroniqueur que je suis a droit à ses opinions. Cela dit, lorsqu’une automobile, un produit ou une pratique douteuse de l’industrie se doit d’être critiqué négativement, je considère qu’il est de mon devoir de le faire. Et c’est là que le défi devient complexe.
Pourquoi complexe? Tout simplement parce que la relation avec les constructeurs automobiles et les concessionnaires, qu’elle soit directe ou indirecte, n’est pas toujours facile à maintenir. Bien sûr, elle le sera si vous les flattez dans le sens du poil et si vous omettez de parler des éléments qui, disons sont moins impressionnants. Or, si vous tapez sur le clou et portez un jugement comme il faut parfois le faire, ça devient plus délicat.
À titre d’exemple, on m’a déjà refusé l’accès à des produits GM, à une époque où j’avais critiqué négativement une voiture Saturn. Un concessionnaire enragé avait contacté les responsables des médias de General Motors, qui avaient lu l’article en question et qui à ce moment, avaient jugé bon de me « barrer ». Comprenez qu’en 2005, Saturn ne vivait qu’avec les ventes de la ION, un réel citron qui a rapidement pris le chemin des oubliettes. Aujourd’hui, on en rit, mais vous comprendrez qu’à l’époque, l’inaccessibilité aux produits de la marque américaine la plus importante m’empêchait de faire mon métier.
Aujourd’hui, la même chose se produit, mais à une différente échelle. On me donne accès à la plupart des véhicules aux fins d’essais et à toute l’information nécessaire, dans la mesure où mes questions ne sont pas trop sournoises. Par contre, il arrive qu’on me boude à la demande de concessionnaires insatisfaits, qui mettent souvent de la pression, ou parce que les relationnistes n’acceptent pas la critique. Ceux qui ont suivi l’émission l’an dernier comprennent d’ailleurs pourquoi nous n’étions pas les bienvenus à la présentation médiatique de la nouvelle Fiat 124 Spider. Et des exemples comme celui-là, j’en ai des dizaines. Comme on dit, ça fait partie du métier.
Inutile de déblatérer sur ces quelques « journalistes » qui effectuent le métier que pour avoir accès gratuitement à des voitures et pour voyager à gauche à droite. Ce genre de profiteur se retrouve dans tous les types de travail, mais perdure rarement. Toutefois, je me permets de vous sensibiliser aujourd’hui à la critique trop positive. À celle qui systématiquement, redore l’image d’un constructeur, d’un réseau de concessionnaires, d’une gamme de produits, ou d’un véhicule précis, sans jamais mordre assez fort pour que les principaux concernés ne puissent même ressentir un léger pincement.
Entendons-nous, les constructeurs et les produits parfaits n’existent pas. Vous auriez beau être passionnés d’une marque en particulier, vous y trouverez toujours un point négatif. Par exemple, les plus puristes amateurs de Subaru, qui apprécient la conduite et l’efficacité du rouage intégral, n’ont d’autres choix que d’admettre que le moteur boxer consomme de l’huile, et que les systèmes audio de la marque sont visiblement développés par des malentendants. Alors, pourquoi certains chroniqueurs décernent systématiquement la palme aux mêmes produits? Et pourquoi les gants blancs et les fleurs, sans jamais qu’il n’y ait de pot? Est-ce de cette façon qu’on doit informer le public?
Bien sûr, je comprends que certains de mes collègues n’ont pas cette même « grande gueule » qui m’habite et qui me force parfois à frôler la limite. Ça, c’est ma personnalité, et vous êtes parfaitement en droit d’aimer ou de détester. Maintenant, demandez-vous si un journaliste qui ne s’est pas acheté de voiture en 25 ans et qui ne met à peu près jamais les pieds dans un concessionnaire peut être réellement crédible. Demandez-vous si un journaliste à qui on fournit une ou plusieurs voitures à l’année, souvent d’une même marque, peut être impartial. Et surtout, analysez la chronique que vous lisez ou entendez en tentant de voir à qui elle s’adresse réellement. Parce qu’une fiche technique ou un publireportage déguisé, ça ne sert pas au public.
Pour plusieurs, la voiture est un mal nécessaire. Pour d’autres, un achat émotionnel. Et pour la plupart des gens, une dépense qui prend une place très importante dans le budget annuel. Pour toutes ces raisons, je demeure convaincu que la seule façon de faire ce métier est de dire la stricte vérité. N’en déplaise aux concessionnaires de plus en plus puissants, aux constructeurs qui jouent avec nous la carte de la séduction, et aux gens de l’industrie qui tentent par tous les moyens et avec des produits souvent douteux de s’accaparer une part de ce gigantesque gâteau.
En terminant, retenez ceci. Il n’existe aujourd’hui plus vraiment de réelles mauvaises voitures, comme pouvait l'être la Ford Pinto ci-haut illustrée. La qualité générale atteint aujourd’hui un niveau sans précédent. Or, il existe beaucoup de mauvais achats, et plusieurs mauvaises façons de se procurer la meilleure des voitures. Le métier de chroniqueur automobile consiste ainsi à vous diriger à travers cette nuance, et non pas à promouvoir les produits d’un constructeur…