Qui ne connaît pas Kodak? La marque a tellement de poids dans l’industrie de la photographie que, même si nous ne nous servons plus de ses appareils pour photographier ou filmer, nous employons encore son nom pour désigner l’appareil en question. « As-tu apporté ton Kodak? » est une question encore très courante au Québec, même si, dans les faits, il s’agit d’une caméra Canon, d’une Nikon ou, simplement, d’un téléphone intelligent. Pourtant, Kodak a cessé de construire des appareils photo en 2012.
Un tel poids associé à un nom provient du fait que Kodak a jadis déjà été un titan dans l’industrie de la photographie. Née en 1892 dans l’État de New York, l’entreprise est rapidement devenue le plus grand constructeur de films et d’appareils photographiques du monde. En 1966, ses ventes totalisaient 2 milliards $ US, soit l’équivalent de près de 19 milliards $ US aujourd’hui !
Rien de tout cela n’a empêché Kodak de se placer sous la protection de la faillite au début des années 2010. Mais que s’est-il passé? Une vision de court terme de la part des dirigeants de l’entreprise, alimentée par le principe de « too big to fail » (trop gros pour tomber) et accompagnée d’une fermeture d’esprit face à un monde en rapide transformation.

Créer la tendance, sans saisir l’occasion
Vous voyez, c’est Kodak qui a inventé le premier appareil photo numérique, en 1975, bien longtemps avant que ce genre d’appareils ne devienne la norme dans l’industrie de la photographie. Malgré son avance dans ce domaine, Kodak jugeait à l’époque que le numérique serait trop coûteux à développer et mettrait en péril les ventes de films photographiques, son marché le plus profitable.
Kodak s’est enfin fait rattraper dans le détour par des entreprises asiatiques qui arrivaient sur la scène avec une technologie plus avancée et vendue à prix moindre. Avant même que Kodak ait eu le temps de réagir, il était déjà trop tard.
Ironiquement, cette histoire me force à faire un parallèle avec certains constructeurs d’automobiles dans un monde en rapide transformation, le tout, motivé par une urgence monumentale de collectivement réduire nos émissions de GES (gaz à effet de serre) dans l’espoir d’atténuer les changements climatiques, sans doute l’un des plus gros défis auquel fait face l’humanité depuis le début de son existence.
Je crains bien que certains constructeurs soient justement sur le point de rencontrer leur propre moment Kodak.
- À LIRE : Tesla ouvre son réseau de superchargeurs aux autres marques
- À LIRE : De nouveaux tarifs pour les nouvelles bornes rapides du Circuit électrique entrent en vigueur
Sans la GM EV1, Tesla n’aurait jamais existé
Si certaines théories du complot entourent la mort soudaine de la GM EV1 — première voiture électrique louée à grande échelle sur le territoire américain — sa disparition provient en réalité de décisions semblables à celles de Kodak. Malgré une grande demande pour ce genre de modèles et des propriétaires prêts à traîner le constructeur en court pour conserver leur véhicule, GM les a tout de même toutes retirées du marché.
Comme l’a si bien dit Elon Musk, « je n’ai jamais vu une entreprise aussi aveugle face aux demandes des consommateurs. »

Tout comme Kodak, GM a stoppé la distribution de l’EV1 par peur que ce genre de véhicule tue l’industrie de l’automobile. Si l’EPA (Environnemental Protection Agency) apprenait qu’il est possible et financièrement viable pour les constructeurs américains de construire des véhicules électriques, elle aurait immédiatement imposé à toute l’industrie des réglementations tellement strictes sur les véhicules thermiques, qu’elles mettraient en danger la survie des grands acteurs du milieu.
Ça semble familier ?
Or, GM avait l’avance sur l’industrie des véhicules électriques, mais au lieu de saisir cette occasion en or d’être les premiers avec quelque chose de révolutionnaire, elle a plutôt préféré protéger ses intérêts financiers à court terme. Si Tesla existe aujourd’hui, c’est en grande partie en raison du manque de vision de General Motors.
Un parallèle semblable peut être fait avec Toyota qui, au début des années 2000, innovait avec les premières technologies hybrides. Au lieu de profiter de cette avance technologique et de l’étendre dans l’industrie des véhicules électriques, elle a plutôt décidé de concentrer ses efforts sur d’autres technologies, l’hydrogène, notamment, qui, aujourd’hui, ne semble pas prendre l’erre d’aller espérée. Toyota et GM sont aujourd’hui à la traîne derrière Tesla, actuellement le constructeur d’automobiles ayant la plus grande valeur boursière de l’histoire de l’automobile et qui, durant le premier trimestre de 2023, vendait le véhicule le plus vendu dans le monde, le Model Y. En 2022, il s’était vendu plus de Tesla Model 3 au Québec que de Honda Civic.
La Chine domine
Si les grands constructeurs font sans cesse des promesses d’arriver dans l’électrique avec de nouvelles technologies, ils viennent récemment de se faire détrôner par un jeune constructeur chinois dans la course pour la commercialisation de la batterie à électrolyte solide. Plusieurs experts du milieu qualifient cette batterie de batterie de l’avenir en raison de sa plus grande autonomie, de sa vitesse de recharge plus rapide et de sa meilleure endurance.

En effet, c’est NIO qui est devenu le premier constructeur d’automobiles de l’histoire à intégrer une batterie du genre dans ses véhicules commercialisés à grande échelle. Pendant ce temps, certains constructeurs, comme Honda, n’ont même pas encore introduit leur premier véhicule électrique sur le marché nord-américain. En fait, la Chine est actuellement à des années-lumière en avance sur l’Amérique du Nord et l’Europe en matière d’avancées technologiques dans l’électrique.
On ramasse tout ça et on se retrouve avec la recette parfaite pour tout faire basculer l’industrie de l’automobile comme nous la connaissons. Il suffit qu’un élément déclencheur change la donne.
Le contexte actuel d’inflation rapide des prix des véhicules neufs, associés à des taux d’intérêt élevés, pourrait bel et bien être ce moment charnière, car il suffit qu’un constructeur comme Tesla décide de soudainement réduire le prix de ses modèles — chose déjà discutée par Elon Musk — et boom! Certains constructeurs, incapables de suivre la parade, se retrouveront soudainement face à de sérieux défis financiers, au point de fermer boutique ou, encore, de se faire avaler tout rond par un concurrent.
Quand je vois GM monter les prix de ses modèles électriques basés sur son architecture Ultium ou encore le Toyota bZ4X avec son autonomie médiocre et ses piètres performances de recharge, semble enfin n’être qu’un véhicule de conformité pour réduire la moyenne CAFE (pour Corporate Average Fuel Economy) du constructeur, je me dis que le moment Kodak de l’industrie de l’automobile est déjà commencé.
- Visitez notre zone électrique
- L’électrification, le gros bouton « reset » de l’industrie de l’automobile