L’allégorie de la grenouille se fonde sur l’observation du comportement d'une grenouille placée dans un récipient d'eau chauffée progressivement pour illustrer le phénomène d'accoutumance qui explique pourquoi les êtres ne réagissent à une situation grave. L’idée de base est la suivante : si l'on plongeait subitement une grenouille dans l'eau chaude, elle s'échapperait d'un bond; par contre, si on la plongeait dans l'eau froide et si l'on portait très progressivement l'eau à ébullition, la grenouille s'engourdirait ou s'habituerait à la température et finirait ébouillantée.
Remplaçons si vous le voulez bien la grenouille par un être humain et l’eau par le prix du carburant à la pompe. Souvenez-vous de juillet 2008 ! En l’espace de quelques semaines, le prix du litre de carburant à la pompe est passé de 1 $ à 1,47 $. Un vent de panique s’est installé, les ventes de camionnettes et de gros utilitaires sont tombées en flèche. Les Américains ont commencé à acheter des véhicules hybrides à un point tel que Toyota s’est lancée dans la construction d’une usine de Prius aux États-Unis. Tous les médias ne parlaient que du prix du carburant. Il y avait un vent de panique. Exactement comme si vous aviez jeté une grenouille dans un chaudron d’eau bouillante, elle a sauté hors du chaudron. Quelques mois plus tard, le prix avait baissé, la vente des véhicules hybride avait diminué. En réalité, les Américains ont simplement cessé d’acheter des véhicules hybrides, et Toyota a stoppé la construction de son usine presque terminée, faute de clients.
Différente approche des pétrolières
Les grandes sociétés pétrolières ont analysé la réaction des gens un peu partout sur la planète après une hausse soudaine du prix du carburant et ont décidé de changer leur approche. Où en sommes-nous six ans plus tard ? Le prix du carburant qui était redescendu à l’automne 2008 aux environs de 1 $ le litre a graduellement remonté pour atteindre 1,32 $ le litre. Au lieu de plonger l’automobiliste dans l’eau bouillante, les pétrolières l’ont gentiment déposé dans l’eau tiède et ont augmenté graduellement la température. La théorie semble très bien fonctionner. Dans son analyse mensuelle des ventes canadiennes d’automobiles, Dennis Desrosiers note que le segment des sous-compactes est celui qui progresse le moins depuis deux ans. Au Canada, où nous avons pourtant la réputation d’être chiches et plus européens dans nos choix, les camions constituent maintenant 50 % du marché de l’automobile, c’est presque autant que du côté des Américains. Même les médias ne font plus les gorges chaudes devant un prix du litre qui approche dangereusement les sommets atteints en 2008. Le prix du pétrole augmente de 10 cents une semaine et redescend progressivement de 6 ou de 7 cents sur une période de deux semaines pour encore remonter de 10 cents et ensuite redescendre... Ainsi, sans faire trop mal aux consommateurs, le prix est maintenant de 1,32 $ le litre. Non seulement les gens ne protestent presque plus, mais les ventes de véhicules de luxe et d’utilitaires de tout acabit se portent très bien.
Il semble que le consommateur se soit résigné à se faire arnaquer à la pompe, et comme la grenouille qui ne savait pas qu’elle était en train de cuire, l’automobiliste se prélasse dans l’eau de plus en plus chaude sans savoir qu’il est sur le point de se faire ébouillanter.