Prendre la décision d’avoir un impact majeur dans la vie d’une autre personne est une réalité à laquelle j’ai récemment été confronté. J’ai dénoncé un chauffard en état d’ébriété sur l’autoroute. J’ai collaboré avec les services policiers. J’ai été témoin de son arrestation. Ai-je altéré le cours de sa vie ? Malheureusement. Étais-je obligé de le faire? Non. Aurais-je pu tout simplement le dépasser? Oui. Quelles auraient été les conséquences pour moi? Aucune. Mais j’ai le sentiment d’avoir fait mon devoir de citoyen.
Un sujet qui me touche
Comme plusieurs d’entre vous le savent, en raison de deux reportages faits à RPM+, j’ai une sensibilité face à l’alcool au volant. Il y a quelques années, grâce à la collaboration du Service de police de la Ville de Sherbrooke, j’ai fait une simulation d’arrestation en état d’ébriété dans le but de savoir « comment ça se passe » et, surtout, démontrer quels sont les impacts sur la vie d’une personne qui a été arrêtée avec les facultés affaiblies. J’ai aussi donné mon corps à la « science » en chevauchant intoxiqué ma bicyclette à différents degrés d’alcoolémie, 0,08 et 0,16, pour démontrer quels sont les effets de l’alcool sur la conduite. J’ai reproduit l’exercice le lendemain, mais cette fois sous les effets de la marijuana. Avec ces reportages, je n’avais qu’un seul objectif : sensibiliser au moins une personne sur le fait de prendre le volant sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue. Malheureusement, cette personne n’était pas le conducteur devant moi.
En route vers l’aéroport
Il est 4 heures du matin, en pleine nuit. Je dois me rendre à l’aéroport pour un vol à 7 h 30. Je suis sur l’autoroute au volant d’une rutilante Toyota Corolla 2023 depuis déjà un bon bout lorsqu’un VUS s’insère devant moi. Rien d’excitant, même que je chantais à tue-tête pour contrer les effets de ma courte nuit. C’est alors que les mouvements erratiques ont commencé devant moi. Petit louvoiement vers la gauche, retour entre les lignes plus difficiles et on repart vers la droite. Comme c’est souvent le cas, je me dis que le conducteur a échappé son cellulaire, qu’il change le poste de radio. Qu’en sais-je? Toutefois, il atteint un autre niveau lorsqu’il actionne son clignotant pour revenir sur l’autoroute après quelques dizaines de mètres dans le terre-plein. Ses mouvements sont tellement imprévisibles qu’il m’est impossible de simplement envisager de le dépasser sans prendre un risque. Après 3 ou 4 kilomètres de ce cirque, je comprends qu’il ne s’agit pas d’un cellulaire vagabond ou d’une radio qui ne coopère pas. La personne derrière le volant a les facultés affaiblies et très sévèrement. Sur le sujet, je peux me fier à ma propre expérience en reportage.
La morale entre en jeu
Je dénonce ou pas? Comme j’ai fait en reportage le processus d’arrestation et suivi le cours judiciaire, je sais dans quelle galère je jette ce conducteur en le signalant. Je vais « scraper » une partie de sa vie. Est-il préférable de le dénoncer ou d’attendre qu’il ait un accident, qu’il se tue, qu’il me tue? Pire, qu’il entraîne une ou d’autres personnes dans l’accident et qu’il les tue elles aussi. Vous vous dites peut-être que c’est un scénario catastrophe! Qui n’a jamais entendu une de ces histoires aux nouvelles le soir? Malheureusement, c’est plus fréquent qu’on peut le croire.

Le 911
Une gentille dame me répond et me demande quelle est l’urgence. Je lui explique soupçonner d’être en présence d’une personne avec les facultés affaiblies sur la route. Elle me demande l’endroit, à quel kilomètre je me trouve pour faciliter l’envoi d’agents. Elle me demande aussi quels sont la marque et le modèle du véhicule. Je lui confirme avec une extrême certitude la marque, le modèle, l’année et je peux même lui dire avec quels ensembles d’options.
- À LIRE : Pourquoi détestez-vous les véhicules électriques?
- À LIRE : Presque 10 ans plus tard, je m’ennuie encore de Suzuki
Je suis en discussion depuis déjà au moins 4 ou 5 kilomètres quand elle me dit qu’elle doit me transférer puisque j’entre dans une autre région administrative. C’est un autre secteur de la Sûreté du Québec qui prendra le dossier en charge. On me transfère malgré mon exaspération. Alors que je croyais que les renseignements seraient transmis, je dois recommence du début. Je suis l’individu depuis plus d’une dizaine de kilomètres. Encore heureux qu’il n’ait pas atteint sa sortie. Je commence à trouver la distance longue, très longue pour une situation que je considère somme toute dangereuse. Pendant ce temps, le conducteur ne dégrise clairement pas puisqu’il évolue dans un ballet entre les lignes et un nombre incalculable de sorties de route.
L’arrestation
La répartitrice, toujours aussi gentille, me dit que des agents sont envoyés dans le but de faire une interception. Je me dis enfin, il était temps. Le hic, ça n’arrivera que dans une quinzaine de kilomètres plus loin. Nouveau niveau d’exaspération, elle me dit que les effectifs sont limités et qu’ils sont malheureusement à une certaine distance du point de « rencontre ». On se fixe sur un lieu et, à l’approche, pour faciliter l’identification du véhicule, je dois mettre mes feux de détresse. Une fois que le véhicule suspect est passé devant les policiers, pour leur confirmer que c’est le bon véhicule, j’ai fait un appel des phares. Ils s’engagent derrière, mais la répartitrice prend bien soin de m’aviser que les policiers doivent détecter un comportement erratique pour procéder à une interception. Il ne faut pas plus d’une centaine de mètres pour que le conducteur fautif fasse une manœuvre hasardeuse.
On me demande de m’immobiliser derrière à une certaine distance derrière le véhicule de police. Il est possible qu’on doive me parler. J’ai alors vécu comme spectateur l’arrestation de cet homme qui tenait à peine sur ses jambes lorsqu’il est sorti de son véhicule. Les menottes et l’embarquement à l’arrière de la voiture de police s’ensuivent. Après l’avoir vécu dans mon reportage, je sais que cet homme passera une très mauvaise fin de nuit et que ça devrait lui coûter tout près de 10 000 $ en frais divers. Alors que les minutes restantes avant mon vol ne soit complètement égrainées, le policier est venu me voir pour savoir si je pouvais faire une déposition au poste. Pas maintenant, j’ai un vol à prendre, mais je suis allé leur porter en main propre à mon retour.
L’auriez-vous fait?
Je dois admettre que ç’a été une expérience étrange à vivre. Suivre une personne saoule qui a un comportement erratique n’a rien de rassurant. Personnellement, j’espère ne pas le revivre. Un peu comme si j’avais le rêve utopique de la paix dans le monde, j’aimerais qu’il n’y ait tout simplement plus de personne suffisamment irresponsable pour prendre le volant en état d’ébriété. Je l’ai dénoncé et j’ai la conscience tranquille. Au compte, j’ai peut-être aidé cet homme dans une certaine mesure, mais j’ai peut-être surtout sauvé une ou des vies.
Vous, l’auriez-vous fait?