J’ai déjà visité Paris, mais jamais la France à proprement parler. Voilà qui est ironique car mon nom, Clavey, est français. Mon grand-père, Robert, originaire de Franche-Comté, aux limites de l’Alsace, est venu s’installer à Montréal avec sa conjointe au milieu des années 1950, après son service militaire et la guerre d’Indochine.
Vous comprendrez donc mon enthousiasme lorsque j’ai reçu l’offre d’aller conduire quelques nouveaux modèles Mercedes-AMG - la C43 2023 et l’AMG EQE 2024 - dans la région alsacienne de Colmar. En vérifiant le lieu du lancement, j’ai rapidement réalisé que c’était à 90 kilomètres de Luze, le village natal de mon grand-père. Il fallait que je visite !
Comme ce type d’événements comporte habituellement des horaires chargés, je ne croyais pas avoir le temps de m’y rendre.
Une synchronicité presque tombée du ciel
Une semaine avant mon départ, j’ai appris que mon grand-père vivait ses derniers jours à la suite de complications cardiaques. Il s’est éteint à 94 ans au cours de cette même semaine, ce qui m’a encore plus motivé à visiter son village d’enfance.
Dès mon atterrissage en territoire français, j’ai lancé une perche à un cousin québécois qui avait visité l’endroit en 2019. Il m’a immédiatement mis en contact avec mes cousins français qui demeurent à Héricourt, une ville voisine de Luze. Ils étaient ravis de me recevoir, ne fût-ce que quelques heures.
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Or, durant le programme médiatique de l’AMG C43, au lieu de suivre le parcours routier prédéfini par les organisateurs de l’événement, j’ai plutôt pris l’autoroute A35 vers le sud pour aller découvrir mes racines paternelles.
Une bête égarée dans une campagne éloignée
Rien ne m’a toutefois préparé à ce qui m’attendait. Ce qu’un de mes cousins avait négligé de me mentionner, c’est qu’il avait importé un Humvee M998 de l’armée américaine de l’année 1986, un modèle démilitarisé qu’il utilise aujourd’hui librement sur les routes de sa région rurale, un véhicule totalement hors contexte pour cette partie de l’Europe. Là-bas, les routes sont étroites comme des ruelles, et les véhicules, pour la plupart, ne sont guère plus imposants qu’une Volkswagen Golf.
Dès mon arrivée à son domicile d’Héricourt, j’ai aperçu le colosse stationné au fond d’une étroite venelle, vêtu de son camouflage Woodland typiquement américain. Cubique, grotesque et d’apparence froide, ce gros char détonnait sur l’environnement autrement chaleureux de l’architecture alsacienne.
L’engin en question avait, à l’origine, été construit par AM General qui, au début des années 1980, avait reçu le contrat du gouvernement américain pour en produire quelque 55 000 exemplaires. Connu par l’armée par son nom de code HMMWV (pour High Mobility Multipurpose Wheeled Vehicle), ce géant fait 2 400 kilos (5 200 livres), peut supporter une charge utile de 1 100 kilos (2 500 livres) et a été conçu pour adapter une foule d’accessoires et d’armements.
C’est d’ailleurs cette grande souplesse qui a permis au Humvee de devenir l’un des véhicules militaires les plus utilisés et les plus symboliques de l’histoire. Lors de son 10e anniversaire, en 1995, plus de 100 000 exemplaires avaient été construits. À cette époque, AM General commercialisait aussi une version civile nommée Hummer H1, qui a été reprise par General Motors en 1999.
Jumeler tracteur et camionnette ouvrière
Sous le capot de ce monstre se cache un V8 turbodiesel de 6,2 litres. Il développe une puissance 190 chevaux à 3 400 tours/minute. C’est toutefois son couple de 380 livres-pieds à 1 700 tours/minute seulement qui impressionne. Cette mécanique est jumelée à une boîte de vitesses automatique à 4 rapports. Il s’agit toutefois d’une boîte provenant d’un modèle plus récent car, dans les faits, ces modèles étaient dotés d’une boîte à 3 rapports. Un boîtier de transfert à deux rapports à chaîne permet d’utiliser les 4 roues motrices ainsi que les différentiels autobloquants.
Monter à bord d’un M998 vous donne l’impression de grimper dans un vieux tracteur agricole. Tout est en acier, il y a très peu de commandes sur la planche de bord, et les quatre places sont serrées, installées aux quatre coins du véhicule. Toute la section du centre sert à charger de l’équipement, à recouvrir la mécanique ou, encore, à installer une arme sur le toit, comme un fusil mitrailleur. Mon exemplaire avait d’ailleurs à cet effet une énorme ouverture dans le plafond. Dans mon cas, elle agissait plutôt à titre de toit panoramique, ce qui se révélait agréable en cette chaude journée d’été.
Au moment où j’ai démarré l’engin, les corpulents ventilateurs de refroidissement se sont mis en marche pour contrer la chaleur. Mon exemplaire était justement équipé du radiateur allongé pour une utilisation dans le désert. C’est ce qui explique la grille et les phares qui ressortent de la calandre et qui confèrent à mon colosse une allure bizarre.
En appuyant sur l’accélérateur, j’ai constaté à quel point cette mécanique est rudimentaire. Il faut un bon mouvement du pied et de la jambe droite pour que cette pédale fasse réagir le gros V8, et la course de cette pédale n’est pas très longue. On réalise donc que la plage de puissance est courte. Tout est de nature couplé, et il ne faut pas s’impatienter, car les accélérations sont justes.
Si son confort et son ergonomie me rappellent un tracteur, sa conduite fait plutôt penser à celle d’une camionnette ouvrière du type Heavy Duty, mais de plus vieille génération. C’est logique compte tenu du fait que ce bloc-moteur provenait, à l’époque, de General Motors, et le constructeur l’utilisait pour alimenter certaines camionnettes et certains VUS destinés au grand public.
Raviver des souvenirs
Dans les rues étroites d’Héricourt, tous les regards étaient fixés sur moi pendant que je tentais de saisir les dimensions de cette créature. Le fait de conduire ce machin dans la ville dont mon grand-père m’avait tant parlé remuait en moi toute une série d’anecdotes. Grand-père avait connu l’occupation allemande étant jeune et me racontait des histoires incroyables à ce sujet. Sa région était d’ailleurs un point chaud durant la Seconde Guerre mondiale, ce qui ajoutait à l’euphorie de conduire ce véhicule là-bas.
Le Humvee est très large, même pour une route nord-américaine. En sortant de la ville, en direction de Luze, à quelques kilomètres en campagne vers le nord-ouest, on doit être vigilant quand on approche des vallons. Si on a le malheur de rencontrer une voiture en sens inverse sans avoir proprement pris connaissance de notre position sur la chaussée, une collision est imminente. Au fait, les conducteurs opposants faisaient toute une grimace en m’apercevant dans leur pare-brise. Avec raison !
Même s’il est très bruyant par sa titanesque mécanique et l’absence totale de portières, le Humvee se révèle étonnamment doux. Sa suspension encaisse très bien les imperfections de la route. Remarquez que, en France, il ne s’agit pas des mêmes imperfections qu’au Québec, mais le Humvee m’a néanmoins surpris par l’efficacité de ses suspensions et sa tenue de route étonnamment agile.
Une brève excursion en forêt m’a permis de mieux observer l’efficacité de son châssis et de ses éléments suspenseurs. J’ai rapidement compris pourquoi ce véhicule performait si bien en contexte militaire, car malgré son âge, il est encore très capable en contexte hors route.
Après m’être garé devant la maison d’enfance de mon grand-père, j’ai pris un petit instant pour digérer ce qui venait de m’arriver. La conduite du Humvee s’est montrée amusante, malgré les quelques chocs culturels de conduire ce véhicule des plus américains dans cette paisible région européenne. Si, chez nous, ce genre de véhicule attire quelques regards, sans plus, là-bas, c’est l’équivalent de se faire voir au volant d’une supervoiture italienne. Personne ne s’attend à cela.
Au retour, dans l’avion, en écrivant mon essai des Mercedes-AMG pour RPM, j’ai pris quelques instants pour faire une pause, prendre un verre et admirer un fabuleux lever de soleil au-dessus de l’océan Atlantique. C’est là que j’ai levé mon verre et que j’ai remercié Robert pour cette expérience inoubliable.
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