Lorsque je me suis rendu à Pebble Beach, mon objectif était de couvrir les célèbres événements de Monterey Car Week et le Concours d’élégance. Cependant, une invitation de dernière minute provenant de la division des véhicules classiques de Mercedes-Benz est venue chambouler mes plans.
Quelques jours avant l’événement, le constructeur m’a demandé de l’aider à transporter quelques-uns de ses anciens modèles de Los Angeles jusqu’à Pebble Beach, où ils seraient exposés dans son kiosque. C’était une occasion en or que j’ai acceptée avec plaisir puisqu’elle me permettait d’amasser du contenu exclusif pour les pages de RPMweb.
Le parcours, d’une distance de plus 500 kilomètres et qui comptait quelques arrêts pour prendre un café, photographier les véhicules et luncher, me permettrait de déguster des belles d’autrefois ornées de la prestigieuse Silver Star comme la magnifique « Pagode » des années 1960, l’adorable 230 Fintail de 1965, la rutilante AMG CLK 63 Black Series de 2008, la charmante 380 SL 1982 et nul autre que le sublime Roadster 300SL 1963 dont la valeur est estimée à un peu plus de 1,2 million $ US.
- À LIRE : Mercedes-Benz : le défi de préserver son héritage dans une industrie en transformation
- À LIRE : La Mercedes-Benz 540 K Special Roadster 1937 remporte « Best of Show » à Pebble Beach
Personne ne m’avait cependant informé que Jochen Mass, ex-pilote de formule 1, celui qui était directement impliqué dans l’accident mortel de Gilles Villeneuve, nous accompagnerait. Comme une surprise sortie de nulle part, les gens de Mercedes-Benz ont cru bon de me jumeler à lui sous prétexte que j’étais le seul journaliste québécois sur les lieux. Comme j’y ai vu un lien à faire avec la 380 SL, voiture qui avait été commercialisée la même année où le Québec avait perdu son champion, j’ai cru bon de m’en servir pour mon entrevue.
« Montréal, j’y suis allé en voilier! »
Aujourd’hui âgé de 76 ans et un peu sourd d’une oreille en raison des bolides qu’il a pilotés, Jochen Mass est un homme simple, d’approche facile et qui dispose d’un grand sens de l’humour. Son parcours en course automobile est fascinant.
Si la formule 1 ne lui a permis de remporter qu’une seule victoire, soit celle du Grand Prix d’Espagne en 1975 au volant de sa McLaren-Ford, Jochen Mass a par la suite diversifié son expérience dans le sport motorisé où il a couru dans plusieurs disciplines comme l’European Touring Car Championship, le Paris-Dakar, la formule 2, les 24 Heures de Daytona et les incontournables 24 Heures du Mans où il a remporté la victoire en 1989 au volant d’une Sauber Mercedes.
Cette légende allemande de la course automobile habite aujourd’hui dans le sud de la France. Il agit à titre d’ambassadeur pour la division classique de Mercedes-Benz. Le constructeur l’invite à ses événements spéciaux et lui donne un accès privilégié à sa collection de voitures antiques. Il fait partie d’un groupe sélect d’individus qui ont l’autorisation de conduire les voitures de l’époque préguerre de Mercedes-Benz.
Lorsque j’ai fait sa rencontre et que je lui ai dit que je viens du Québec, il m’a immédiatement raconté la fois où il s’est rendu à Montréal en voilier depuis Amsterdam avec sa conjointe et sa fille. C’est là que j’ai compris que je n’avais pas affaire à n’importe qui.
Des monoplaces ultra puissants à la vie de grand-papa
Il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour me sentir à l’aise en compagnie de Jochen. D’une approche tellement décontractée, il s’est mis à répondre à mes questions avec énormément d’enthousiasme, me racontant des histoires inoubliables au passage, et à me parler de sa famille et de sa vie à titre de grand-papa.
Jochen vit simplement. Il m’a avoué s’être libéré de tous ses jouets motorisés, y compris les voitures et les motos classiques. Pour lui, tout ce qui compte actuellement c’est la voile. Il avoue même s’être débarrassé de ses trophées.
« Tout cela prenait trop de place dans le garage. Et puis, trop souvent, les trophées sont de mauvaise qualité et finissent par casser. Je n’en veux plus. Je suis rendu ailleurs dans ma vie. Mon voilier, ma famille, mes petits-enfants, c’est ce qui compte maintenant », me disait-il d’un air paisible.
À ma grande surprise, M. Mass ne conduit pas une Mercedes-Benz. Je lui ai alors demandé pourquoi. Il m’a expliqué que le constructeur a tenté de lui fournir un GLC, un modèle qu’il dit avoir détesté. Il s’est plutôt acheté un Alfa Romeo Stelvio, un VUS qu’il qualifie de « parfait » pour ses besoins.
Évidemment, j’ai tenté d’éviter le sujet de l’accident de Gilles Villeneuve. Je me suis plutôt concentré sur ses exploits en course automobile et sur les gens qu’il a rencontrés sur son parcours. Des pilotes de renommée comme James Hunt, Niki Lauda et Jackie Stewart ont tous, à un moment donné, fait partie de sa vie. Jochen m’a même parlé du tournage du film « Rush », où il a participé activement à titre de consultant. Il est même apparu à l’écran comme figurant.
« Chris Hemsworth m’avait appelé pour me poser des questions au sujet de cette époque. C’était tout un honneur pour lui de me parler. Il a effectué un travail de recherche colossal pour le rôle. Je crois qu’il était le bon acteur pour représenter James Hunt. Bon, le film est un peu romancé, c’est normal. Niki Lauda n’était pas l’homme arrogant que le film présente, à mon avis. Mais je crois qu’il s’agit tout de même d’une excellente représentation de l’époque où nous courions. C’est un très bon film. »
Il était maintenant temps pour notre peloton de s’arrêter sur le bord de la route pour une séance photo de groupe. En raison des constructions sur la California Route 1 qui longe la mer, nous n’avions d’autres choix que d’entrer à l’intérieur de la vallée où le désert californien nous a accueillis par une chaleur torride de 42 degrés Celsius. Une telle chaleur avait exercé tellement de pression sur le système de refroidissement de la 230 Fintail, que sa pompe à eau s’est carrément désintégrée dès notre arrivée à destination.
Cette journée tragique
Malgré mes efforts de ne pas aborder Gilles Villeneuve, Jochen m’a enfin raconté son expérience entourant cette journée tragique. Silencieux et captivé par son récit, je l’ai laissé tout me raconter pendant qu’il prenait à son tour le volant de notre cabriolet.
« Je ne l’ai jamais vu venir. Il est arrivé tellement vite! Soudainement, j’ai vu son auto passer par-dessus la mienne. Gilles, lui, avait été éjecté de son siège. Je l’ai vu heurter la clôture de plein fouet. C’était terrible comme accident. J’ai couru à sa rescousse. Il était étendu là, tout tordu dans la clôture et inconscient. Je me souviens de m’être senti impuissant face à ce drame. J’ai immédiatement pensé à sa famille. Il était tellement une bonne personne. Une bonne âme. Tout le monde dans l’organisation adorait Gilles. »
Après lui avoir permis de terminer cette triste histoire, je lui ai demandé ce qu’il dirait à Gilles s’il le voyait aujourd’hui. Il m’a répondu : « Je lui dirais d’arrêter de prendre autant de risques! Gilles prenait toujours beaucoup trop de risques. »
Mon expérience avec Jochen Mass a été tellement enrichissante, que nous sommes rapidement devenus des amis durant le voyage. Durant les événements de Pebble Beach, nous avons passé la semaine ensemble, à manger, à boire et à faire la fête. Malgré toutes les belles bagnoles que j’ai eu la chance d’apercevoir et de conduire là-bas, c’est de loin sa joie de vivre contagieuse qui reste gravée dans ma mémoire.