L’industrie de l’automobile change à la vitesse grand V. Le tournant vers l’électrification, qui s’effectue plus rapidement que prévu, force les constructeurs à revoir leurs façons de fonctionner. Pendant ce temps, l’arrivée de nouveaux joueurs exerce une pression énorme sur les constructeurs traditionnels. Ceux-ci doivent effectuer un virage à 180 degrés tout en continuant de soutenir leur ancien modèle d’affaires.
Comme je l’avais expliqué dans ma plus récente chronique d’opinion, nous sommes sur le point d’être témoins d’un moment « Kodak » dans l’industrie de l’automobile où de grands noms pourraient périr en raison d’un manque de vision.
Plus le constructeur est âgé, plus le défi est énorme. Si un constructeur comme Tesla exploite son entreprise en utilisant un modèle d’affaires qui n’a à peine que 10 ans, d’autres, comme Mercedes-Benz, ont plus d’un siècle de bagage à transporter. Comment s’adapter et, surtout, comment demeurer pertinent dans les créneaux de luxe où les consommateurs sont prêts à payer près de 200 000 $ pour un véhicule né d’une startup, comme Lucid?
Afin de répondre à ces questions, j’en ai discuté avec Mme Bettina Fetzer, vice-présidente aux Communications et au Marketing chez Mercedes-Benz, dans le cadre du Monterey Car Week, à Pebble Beach.

Les inventeurs de l’automobile
Au tout début de notre conversation, Mme Fetzer s’est assurée de me rappeler que, chez Mercedes-Benz, il y a un héritage que les nouvelles entreprises n’ont pas. Elle a d’ailleurs réitéré le fait que Mercedes-Benz a été l’inventeur de l’automobile, et qu’aucun autre constructeur ne dispose d’un héritage aussi riche.
« Notre entreprise est un joyau dans l’industrie de l’automobile. Vous avez d’ailleurs eu la chance de conduire certaines de nos voitures classiques. Voilà comment nous nous distinguons des autres marques d’automobiles. Toutefois, nous sommes très conscients que ce n’est pas que cet héritage qui nous permettra de nous adapter. »
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Elle a continué en m’expliquant que le défi de Mercedes-Benz consiste en réalité à naviguer sur un équilibre entre son passé, son présent et son futur. L’entreprise compte plus que jamais puiser dans ses 100 ans d’expérience à titre de constructeur d’automobiles et s’afficher comme une entreprise qui regarde droit vers l’avenir et qui doit transformer son image.
« Nous devons réinventer l’invention originale, soit celle de l’automobile en fonction de la technologie et non de la mécanique. C’est d’ailleurs le noyau de notre entreprise. Mercedes-Benz est un inventeur. Nous avons même une division au siège social de l’entreprise, en Allemagne, qui ne fait que cela, inventer de nouvelles technologies pour améliorer l’automobile. »

Jumeler deux entreprises
En d’autres mots, ce que Mme Fetzer tentait de m’expliquer, c’est que Mercedes-Benz est désormais divisée en deux entités : celle qui représente son passé et celle qui représente son présent. À titre de responsable de l’image de la marque, elle m’a confirmé qu’elle et son équipe doivent constamment s’assurer que ces deux marques vivent en tandem tout en se soutenant mutuellement.
Le présentoir de Mercedes-Benz à Pebble Beach représentait justement cette harmonie entre le passé et le futur. Si, dans un stationnement près du présentoir, nous pouvions apercevoir une petite collection de modèles tirés tout droit de la division Mercedes-Benz Classic, juste à côté était garé le tout nouveau Mercedes-Maybach EQS VUS 680, le tout premier VUS électrique de la prestigieuse division du constructeur.
« Nous ne pouvons pas nous assoir sur nos lauriers en raison de notre héritage. En même temps, nous ne pouvons pas qu’être une entreprise futuriste de technologies, sinon, nous allons nous perdre. Nous devons constamment demeurer à la croisée des chemins entre notre passé et notre futur. »

Mais comment convaincre les jeunes?
Tout ce que Mme Fetzer m’expliquait avait énormément de sens, mais comment Mercedes-Benz réussit-elle à faire valoir ce message à une toute nouvelle génération de consommateurs qui se fichent totalement de cet héritage?
À cette interrogation, elle m’expliquait que les recherches démographiques du constructeur ont démontré que les consommateurs d’objets de luxe de la prochaine génération recherchent des marques authentiques. Autrement dit, ils s’attachent à des marques qui ont les mêmes valeurs qu’eux et qui prennent position lors de mouvements sociaux.
« Nous avons remarqué que 70 % des jeunes de la génération Z ne s’identifient à une marque que si elle a les mêmes valeurs qu’eux. Pour nous, cela signifie que nous devons faire plus que simplement présenter une belle voiture. Nous devons atteindre cette génération-là sur les plateformes qu’elle utilise et créer un lien émotionnel. »
Mercedes-Benz doit donc créer ce qu’elle appelle une pertinence culturelle. Elle doit se prononcer sur des sujets importants, comme la Guerre en Ukraine ou des mouvements sociaux comme Black Lives Matter. À titre d’exemple, quand la guerre a été déclenchée en Ukraine, le compte Instagram de Mercedes-Benz, en Allemagne, a immédiatement cessé de publier des images de ses nouveaux modèles. Elle a plutôt affiché un message qui disait qu’elle arrêtait de publier pendant un certain temps à titre de solidarité pour les Ukrainiens.
« Cette stratégie a eu énormément d’impact positif sur une génération de consommateurs qui, bientôt, chercheront sans doute une nouvelle voiture. Nous voulons nous assurer que, malgré son jeune âge, cette génération ait une opinion positive de Mercedes-Benz et qu’elle l’associe à des mouvements qui lui tiennent à cœur. Le recouvrement de l’investissement requis pour mettre cette stratégie de marketing en branle a été énorme pour nous. »

Oser déranger
L’autre façon de redéfinir l’image de Mercedes-Benz sera de présenter des concepts de design qui sortent de l’ordinaire. Mme Fetzer a utilisé le concept du VUS Classe G conçu de concert avec Moncler à titre de référence. Il s’agit d’un produit qui est sorti de nulle part ; un partenariat que Mercedes-Benz n’aurait jamais imaginé par le passé.
« Nous avons sorti ce concept et nous avons reçu énormément de réactions positives de la jeune génération. Alors nous savons que, quand nous osons sortir du moule, ça peut être payant. »
Mme Fetzer a terminé l’entrevue en m’expliquant que, à l’avenir, dans un monde où tous les véhicules seront très semblables en raison de l’électrification, l’image de la marque et l’identité qu’elle convoite seront très importantes. Voilà pourquoi le constructeur compte capitaliser sur son héritage et continuer à atteindre les futurs consommateurs en adoptant des positions culturelles très définies.
« Je termine en vous rappelant que, encore en 2022, Mercedes-Benz avait été nommée la marque d’automobiles de luxe la plus aimée des consommateurs. Nous faisons partie des 10 marques de luxe, toutes catégories confondues, les plus appréciées dans le monde. Voilà ce que nous avons que les constructeurs émergents n’ont pas. »