Il y a un peu moins de cinq ans, si on désirait se rendre loin à bord d’une voiture électrique, c’était au volant d’une Tesla et rien d’autre.
Aujourd’hui, l’offre de véhicules électriques s’est non seulement beaucoup diversifiée, il est désormais possible de devenir propriétaire d’un VÉ affichant une autonomie de près de 400 km pour moins de 50 000 $. On pense entre autres à la Chevrolet Bolt EV, la Nissan LEAF Plus, la Tesla Model 3 et le plus récent trio coréen : le Hyundai Kona, le Kia Niro et le Kia Soul, tous alimentés par la même batterie de 64 kWh.
De plus, avec une subvention gouvernementale pouvant aller jusqu’à 13 000 $ pour l’achat d’un véhicule entièrement électrique, sans oublier un circuit de bornes de recharge ayant plus que doublé dans la dernière année, l’argumentaire contre la voiture électrique s’amenuise à petit feu.
Est-il donc maintenant acceptable d’affirmer que la voiture électrique est un mode de transport aussi fiable et efficace qu’une voiture à essence pour un long trajet?
Afin de brosser le portrait sur le positionnement des VÉ dans le parc automobile en 2020, j’ai décidé d’effectuer l’ultime test : me rendre jusqu’au bout des bornes du Circuit électrique; au barrage Daniel Johnson (Manic-5), en hiver, au volant d’un Kia Niro EV 2020. J’étais curieux de savoir s’il était possible de m’y rendre en une seule journée. J’ai donc tenté le coup.
Commercialisé pour l’année-modèle 2019, le Kia Niro EV est le troisième d’une série de petits véhicules multisegments électriques du géant industriel coréen Hyundai, comprenant le Soul EV et son cousin mécanique, le Hyundai Kona Electric.
Sa puissance totale est chiffrée par le constructeur à 201 chevaux et 291 lb-pi de couple (149 kW/394 Nm), lui permettant une accélération 0-100 km/h en 6,6 secondes. L’autonomie maximale, en conditions idéales, est certifiée par l’EPA à 385 km et son prix de départ est de 44 995 $. Le Niro est donc éligible aux deux subventions fédérales et provinciales, ce qui réduit la facture de 13 000 $.
Notre modèle d’essai était toutefois un Niro SX Tourisme, c’est-à-dire le plus équipé et le plus onéreux de la gamme avec son prix de 55 905 $ avant les rabais applicables.
Le barrage Daniel-Johnson
Pourquoi Manic-5? Tout simplement parce que je n’y étais jamais allé de ma vie, et parce que c’est là où tout a commencé pour l’électrification du Québec.
Situé à quelque 200 km au nord de Baie-Comeau, sur la rivière Manicouagan, le barrage Daniel-Johnson prend sa source du cinquième plus grand cratère météoritique au monde, mieux connu sous le nom de réservoir Manicouagan, aussi appelé l’œil du Québec.
C’est le plus grand barrage à voûtes multiples et à contreforts du monde, avec ses 214 mètres de hauteur, 1 314 mètres de longueur et 60 mètres d’épaisseur à la base. À lui seul, il soutient un réservoir d’eau d’une superficie de 197 300 hectares et de 135 000 millions de mètres cubes en volume. C’est une structure tout simplement gigantesque.
Au maximum de leurs capacités, les centrales Manic-5 et Manic-5 PA (pour puissance additionnelle) génèrent une puissance installée de 2 660 MW, ce qui avec l’aide des barrages de la Baie-James permet d’alimenter tout le Québec en électricité propre et renouvelable, en plus de certaines régions du Nouveau-Brunswick, de l’Ontario et du nord-est des États-Unis.
D’ailleurs, en 2018, les exportations d’Hydro-Québec ont évité l’émission de plus de 8 millions de tonnes de CO2.
Le trajet
Pour se rendre à Manic-5 depuis Montréal, il faut d’abord se rendre jusqu’à Québec, puis longer la côte nord via la route 138 jusqu’à Baie-Comeau. Grâce aux plus récentes bornes rapides BRCC (400 volts) du Circuit électrique (35 au total) - au coût de 11,78 $ l’heure - j’avais calculé cinq cycles de recharge d’une durée de 45 minutes pour m’y rendre.
La première recharge s’effectuerait à notre lieu de départ de Longueuil et les autres auraient lieu à Québec, La Malbaie, Forestville et Baie-Comeau. Une fois rendus à Manic-5, une borne de type niveau 2 (240 V) assurerait notre retour à la maison.
Mes plus grands défis seraient, bien entendu, le froid qui affecte considérablement l’autonomie des VÉ, mais aussi la route 389 entre Baie-Comeau et Manic-5. C’est un tronçon d’asphalte dangereux et éloigné, sans couverture cellulaire. La région est montagneuse et la route courbaturée, sans oublier l’absence totale de bornes à partir de Manic 2, à quelque 40 km de Baie-Comeau.
Je devais couvrir une distance totale de 217 km sur cette route, en hiver.
En raison de la nature dangereuse de mon périple et de la nécessité de tourner une capsule vidéo, une équipe de vidéastes et de photographes me suivait à bord d’un véhicule de soutien, un Dodge Durango SRT 2020; tout le contraire de notre Niro EV.
On part!
À bord d’une voiture à essence, le trajet Montréal-Manic-5 nécessite de 11 à 12 heures sans faire d’arrêt. Il faut ajouter au moins deux heures si on l’effectue en VÉ.
Afin d’arriver à ma destination en une seule journée, j’ai donc décidé de partir de Longueuil à 5h du matin. À ce moment-là, l’ordinateur de bord du Niro affichait une autonomie de 325 km, à une température de 0 °C.
Se rendre à Baie-Comeau ne s'est pas avéré trop compliqué et même qu’à ma grande surprise, les bornes étaient toujours disponibles lors de mes arrivées. Rappelons-le, l’accessibilité aux bornes demeure l’un des irritants majeurs des propriétaires de VÉ, pouvant augmenter la durée d’un voyage de manière importante.
J’ai néanmoins remarqué des baisses flagrantes d’autonomie au fur et à mesure que le mercure baissait. Dès que l’on tombe sous la barre des -10 °C, le Niro EV affiche une autonomie maximale de 275 km. Lorsqu’on dépasse -20 °C, ce chiffre baisse à 250 km.
De plus, plus la climatisation d’un VÉ souffle fort - chose qui se produit à mesure que la température diminue -, plus l’autonomie est affectée. Il faut donc bien rationner notre chaleur.
Tout compte fait, incluant mes repas, mes cycles de recharge et le traversier de Tadoussac, je suis arrivé à Baie-Comeau à 21 h. À ce moment-là, il me restait 30 km d’autonomie.
Pendant que le Niro effectuait son plein d’électrons, j’en ai profité pour aller souper avec mon équipe et bien préparer la section la plus ardue de mon voyage : la route 389.
En raison d’un réseau cellulaire inexistant, la borne niveau 2 de Manic-5 n’est pas détectable par l’application mobile du Circuit électrique. Nous n’avions donc aucune manière de savoir si la borne était fonctionnelle.
Par chance, Paméla Minville, conseillère en accueil et communication marketing chez Hydro-Québec, s’était rendue à la centrale à l’avance afin d’effectuer des tests sur la borne. De plus, sans l’application mobile, nous devions faire fonctionner cette borne au moyen d’une carte physique que nous nous sommes assurés de bien recharger avant de quitter Baie-Comeau.
Une heure plus tard, notre Niro EV était prêt à prendre la route, affichant une autonomie de 255 km. La température extérieure était de -21 °C.
On m’avait prévenu que la 389 est un réel cauchemar, surtout en hiver. Dans ma carrière de journaliste automobile, j’en ai vu des routes dangereuses, mais celle-là, je vais m’en souvenir toute ma vie. La nuit, en hiver, cette route donne l’impression de s’enfoncer dans un abîme tellement on se sent seul au monde. Sur son chemin, on n’y rencontre aucun signe de civilisation, excepté d’énormes poids lourds recouverts de calcium et de sable qui semblent sortir tout droit de l’enfer. Les téléphones d’urgence, à chaque quelque 5 km, font très peu pour nous rassurer.
C’est carrément le milieu de nulle part.
En plus de ne pas pouvoir activer la navigation de mon téléphone en raison d’un manque de réseau, le GPS du Niro ne détectait pas le barrage. La seule manière de savoir où j’étais rendu, c’était en me fiant à l’odomètre de l’auto.
La température extérieure était maintenant de -29 °C. Les vitres étaient givrées comme une boîte de Mr. Freeze qui dort au congélateur. Il me restait moins de 50 km d’autonomie.
C’est à ce moment que je me suis mis à paniquer. Même en la présence du gros Dodge à essence, dans lequel mes collègues étaient assis bien au chaud sans peur de manquer d’essence, la crainte de la panne sèche a pris le dessus sur ma raison.
« Ça y est, je ne me rendrai pas », me disais-je. « On va faire quoi avec le Niro en panne en plein milieu de nulle part? »
J’ai donc éteint la climatisation, mis ma tuque et mes mitaines et complété le reste du trajet ainsi, les deux mains bien agrippées au volant.
De justesse
Bien sûr, on s’est rendus, mais de justesse! Après tout, nous avions bien préparé et planifié notre voyage. À notre arrivée au barrage qui est, je prends le temps de le dire, d’une prestance grandiose, il ne nous restait que 20 km d’autonomie.
Il était 23 h et la température extérieure ressentie était de -48 °C. Il était temps qu’on arrive.
À Manic-5, nous avions tout ce dont nous avions besoin pour passer la nuit. Un motel propre et chaleureux, une borne de recharge, un restaurant et une station-service pour alimenter notre gros Durango. Sur la borne niveau 2, le Niro devrait recharger ses batteries en neuf heures et serait donc prêt le lendemain matin pour notre long retour vers Montréal.
Hélas non! Au lever du soleil, notre petit Kia, semblant s’être transformé en énorme bloc de glace coloré, n’affichait qu’une autonomie de 208 km. Ce n’était nullement suffisant pour nous rendre à Baie-Comeau.
Au moins, ce n’était pas comme si l’endroit n’était pas fascinant à visiter et grâce aux connaissances de Mme Minville, nous avons eu droit à toute une tournée de ce complexe colossal. Quel chef-d’œuvre en matière d’ingénierie, une véritable fierté québécoise!
Alors oui, il est possible de se rendre à Manic-5 en hiver à bord d’une voiture électrique, mais sachez qu’il faut être bien préparé et ne pas trop être pressé! Finalement, l’aventure ne nous a pas coûté plus de 100 $ en électricité.
Je recommande cependant d’effectuer ce périple en été, car il en vaut absolument le détour. La route est de toute de beauté, les paysages sont grandioses et l’histoire derrière ce barrage est fascinante, voire presque intimidante.
Il y a un peu moins de cinq ans, un tel voyage aurait été impensable. C’est la preuve que les voitures électriques évoluent à un rythme exponentiel et que les infrastructures de recharge, surtout au Québec, sont de plus en plus nombreuses et efficaces.
Qui sait, peut-être que d’ici cinq ans je pourrai m’y rendre et revenir en une seule charge? L’idée n’est pas impossible.