Le passage à l’électrification coûte une fortune, à un point tel que, d’ici à ce que la transition technique soit complétée, on peut s’attendre à moins de nouveautés, mais à beaucoup de mouvements. Pris de panique, les constructeurs mettent un frein sur tout sauf l’électrique. Voici pourquoi.
Le monde de l’automobile est à la croisée des chemins pour la première fois depuis la crise pétrolière des années 1970. À cette époque, le prix du carburant et l’arrivée de nouvelles normes ont complètement transformé la manière dont les gens consommaient l’automobile ; de plus, les largesses de l’absence, ou presque, de mesures d’antipollution permettaient aux constructeurs toutes les libertés possibles quant à la taille de leurs voitures et des moteurs. La crise a mis un frein à tout cela.
Début de prise de conscience
Viennent les années 1990 avec les pluies acides où un début de conscience environnementale a commencé à naître. On a accusé les CFC et les autres produits chimiques communs sans trop regarder ce qui émanait de nos pots d’échappement. Parallèlement, les politiques signent presque à l’unisson le Protocole de Kyoto en 1995. Pour la première fois, le monde se rend réellement compte que nous sommes tous des pollueurs, et qu’il est temps d’agir. Malheureusement, on connaît la suite : « Oui, mais pas au détriment de mon économie, de mes emplois, de mes finances, et je ne fais rien que mon voisin ne fait pas aussi. Au cours des années 2000, être propriétaire d’une Toyota Prius n’était plus synonyme d’être un « hippy ». L’idée de sauver quelques dollars à la pompe était un facteur, mais plusieurs y voyaient aussi le principe même d’être moins polluant. Les voitures hybrides se multipliaient, mais demeuraient un mouvement marginal ; encore une fois, le prix limitait l’accès. Puis le grand coup, ce moment où tout a changé pour l’automobile sans que personne ne le sache encore : Tesla dévoile en 2010 sa Model S.
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D’une mode à une inquiétude
Tesla émerge comme étant la nouvelle marque tendance pour les riches. Ils délaissent leurs Mercedes-Benz, Audi, BMW et Lexus pour se lancer dans la dernière fantaisie, être vus au volant de la création du génie Elon Musk. Vite, les gens se rendent compte que ce n’est pas strictement une mode. Le monde évolue, les pays se réunissent une fois de plus à Paris en 2016 et signent de nouveau. Cette fois, c’est plus sérieux, dans la population, il n’y a pas que les environnementalistes qui crient au scandale.
De plus en plus de personnes sont conscientes que le climat change, que les températures ne sont plus les mêmes et aussi que la liste des espèces en voie de disparition est en croissance quasi exponentielle d’année en année. La pression monte sur les gouvernements. Pour plusieurs, le passage à l’électrique est une avenue, mais elle demeure élitiste et coûteuse. Alors que TOUS les constructeurs ont regardé de haut l’entreprise émergente californienne d’Elon Musk en croyant à un mouvement populaire marginal. Les géants de l’automobile ont commencé à prendre conscience que ce mouvement était peut-être plus important que prévu.
Pour le contrecarrer, on a développé des motorisations plus écologiques. La cylindrée des moteurs chute, les V8 deviennent des V6, les V6 deviennent des 4-cylindres alors que les V10 et les V12 sont voués à la disparition ou presque. La turbocompression semble être la réponse à tout. On va même jusqu’à faire l’apologie du diesel. L’Amérique commence à y prendre goût, les constructeurs allemands multiplient ces offres au gazole alors qu’avant, seuls les Européens en étaient friands. Pour plusieurs, il y a là une piste de solution, on peut enfin être plus « vert ».
Le monde bascule
Septembre 2015, le monde de l’automobile tout entier bascule. L’Université de Virginie-Occidentale découvre que Volkswagen utilise un système développé par l’équipementier Bosch qui permet de détecter quand un véhicule recoupe les conditions pour un test de consommation. La tricherie frappe le géant allemand, mais aussi presque tous ceux qui jouent avec le diesel. Volkswagen, Mercedes-Benz, BMW, les groupes français, tous ou presque y passent. Soudainement, l’une des solutions des constructeurs d’automobiles pour répondre à la soif du public d’avoir des produits moins énergivores part en fumée, plus personne ne veut d’un moteur Diesel.
Pour les fabricants, ce nouveau constat pose un réel problème. Oui, ils parlaient de l’électrification, mais pas tout de suite, plus tard, beaucoup plus tard. Et là, ils sont tous dans la même situation : ils doivent changer de cap immédiatement, et aucun n’y est préparé. Le navire doit faire un virage à 180 degrés, et il n’y a pas de capitaine ni d’équipage à bord pour le faire.
Pendant ce temps, Tesla s’envole autant en bourse qu’au chapitre des ventes. La gamme se diversifie, et Elon Musk aime être sur la scène pour faire mousser les projets de son entreprise : Roadster, Cybertruck, Semi et, même, des jouets comme le Cyberquad. Les autres constructeurs ne semblent tout simplement pas comprendre ce qui se passe et réalisent tous qu’ils sont pris dans des structures et des chaînes d’approvisionnement extrêmement lourdes et difficiles à changer rapidement. Leur problème est plus sérieux qu’ils ne le croyaient. Ce qui n’était qu’une inquiétude devient une urgence. Les équipes qui travaillaient à l’amélioration des motorisations thermiques voient leur budget fondre comme neige au soleil et celui des ingénieurs en électrique exploser.
Le problème réside dans le fait que ces départements étaient très souvent encore embryonnaires et avaient peu de personnel. Soudainement, les offres d’emplois se sont multipliées, et la surenchère est partie en flèche auprès des candidats les plus intéressants. Les constructeurs ont vite réalisé que créer presque de toutes pièces des sections électriques demande beaucoup plus de temps et, surtout, passablement plus de ressources que prévu.
Entre deux époques
Certains constructeurs, les plus en contrôle de leur chaîne d’approvisionnement, ont réussi à créer des produits de transition basés sur des composants existants. Les Sud-Coréens ont particulièrement bien fait à ce chapitre. La grande majorité des voitures électrique qu’on voit actuellement sont de passage. Il suffit de regarder chez Hyundai et Kia où presque toutes leurs électriques ont un pendant à essence. Par conséquent, des compromis ont été faits au moment de leur conception. On arrive en 2022 avec des produits entièrement dédiés plus sérieux et offrant plus de polyvalence.
Ford est exactement dans la même position et est partagée entre deux époques. Le F-150 Lightning sur la base du F-150 traditionnel et le Mustang Mach-E sur une plateforme dédiée. Chez Volkswagen, malgré des amendes totalisant plus de 50 milliards d’euros à la suite du Dieselgate, on parvient à se tirer d’affaire. La gamme électrique ID est en expansion.
Pour les gigantesques constructeurs comme Hyundai, Ford, Volkswagen, l’injection de fonds peut se faire relativement facilement, mais il faut tout de même que les choses se fassent, qu’elles donnent des résultats intéressants, qu’elles s’intègrent dans une stratégie de conception et de production. Le tout prend du temps, beaucoup de temps. À titre d’exemple, Volkswagen dont les fonds semblent sans fin a pris près de 6 ans avant d’être capable de commencer les livraisons de ses premières voitures électriques ID.3 en Europe à la suite de scandale de 2015. Et le tout ne s’est pas fait sans problème. Alors, quand un géant comme Volkswagen peine à arriver à des résultats intéressants dans un délai raisonnable, comment les petits constructeurs peuvent-ils y parvenir ? Toyota, qui figure pourtant dans la liste des plus gros à continuer d’être dans le déni, ne s’est pas réveillée alors même qu’elle est la reine de l’hybridation.
De son côté, Nissan commercialise la LEAF en 2011. La première voiture électrique au Canada digne de ce nom. On s’est alors dit que c’était parti pour eux, mais en regardant l’évolution du produit, on constate que c’est plus une anecdote dans l’histoire de Nissan qu’une véritable lancée. La LEAF roule depuis 2011, et le prochain, l’Ariya, n’arrivera qu’en 2022… 11 ans plus tard. On comprend que l’électrification à grande échelle ne faisait pas partie des plans. Donc, malgré le fait que Nissan ait été l’une des premières avec une voiture électrique au Canada, elle n’était pas plus prête que les autres.
S’entourer des meilleurs
Plusieurs ont réussi à s’en tirer avec des moyens du bord pour quelques années, ou n’ont tout simplement rien fait. À l’aube de 2022, cette approche, si elle est maintenue, les mènera directement à leur perte. Soit, ils investissent en conséquence, soit ils s’unissent, soit lois du marché ou les réglementations les avaleront et ils seront contraints de disparaître. Ce sont là les seules avenues auxquelles les constructeurs sont exposés.
Dans la liste des associations, il n’est pas obligatoire qu’on ne retrouve que des joueurs d’avant-plan ou extrêmement influents. Il suffit de trouver les bonnes personnes avec les bonnes connaissances. Le meilleur exemple est le partenariat récent entre Porsche, Bugatti et l’entreprise émergente croate Rimac. Inutile de vous dire que c’est le génie de Mate Rimac qui fournira les technologies électriques aux deux autres.
Même Honda, une entreprise reconnue pour la qualité de ses motoristes et de ses ingénieurs s’est tournée vers GM et sa plateforme Ultium pour son futur électrique immédiat. Pour certains, que Honda demande de l’aide à GM, c’est presque une hérésie. Chez Subaru, on se tourne carrément vers Toyota pour se faire faire une version Solterra du bZ4X.
Une pause pour certains
Parallèlement, des constructeurs se mettent sur pause pour la transition. Dans ce cas, l’exemple le plus probant est Jaguar. L’organisation a confirmé qu’aucun nouveau produit ne sera présenté d’ici à 2025, et il sera exclusivement électrique. Jaguar est dans une position enviable, elle possède déjà le I-PACE, un VUS électrique. Ce n’est pas une stratégie inconnue pour eux et, pourtant, ils ont besoin de temps. Il faut toutefois souligner que Jaguar désire complètement se réinventer vers un marché encore plus haut de gamme.
Comment les constructeurs s’en sortiront-ils devant ce qui est presque devenu une impasse généralisée ? Tout passe par une rationalisation de leur organisation. Nous verrons de moins en moins de produits et de versions. Les modèles principaux seront favorisés au détriment des véhicules plus exclusifs ou excentriques. Les renouvellements d’ampleur seront plus distancés. Le développement des nouvelles plateformes et des motorisations sera plus rare. En fait, il y a déjà une forte tendance aux fondations modulaires qui s’étirent dans tous les sens et qui peuvent être autant des tractions, des intégrales que des propulsions. Au moins, l’apport de l’électrification permet de simplifier les choses, encore faut-il que les constructeurs se retroussent les manches et les fassent.
Presque tous les constructeurs d’automobiles étaient présents à la COP26 à Glasgow, il y a quelques semaines. Plusieurs se sont affichés avec des intentions fermes et certainement réalistes si les efforts sont faits en conséquence. Sans surprise, d’autres sont restés silencieux ou sont même allés jusqu’à contester les conclusions et ont tout simplement décidé de ne pas signer la Déclaration de Glasgow sur les véhicules à zéro émission. C’est bien là la preuve que même lorsque le navire est en train de couler à pic, certains constructeurs continuent de jouer du violon comme si tout allait bien.
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