Plus de 135 ans après que Carl Benz obtient le brevet pour sa « voiture à essence » Motorwagen Modèle 1, les femmes continuent d’être étiquetées comme de mauvaises conductrices. Mais si ce n’eût été du courage et de l’audace dont Bertha Benz a fait preuve en 1888, le monde de l’automobile, tel que nous le connaissons aujourd’hui, serait bien différent.
Mannheim, Allemagne. Le matin du 5 août 1888, derrière la manivelle de direction (le volant ne sera inventé que six ans plus tard), Bertha Benz prend la route pour faire ce qui deviendra le premier road trip à bord d’une voiture munie d’un moteur à combustion.
En plus de sa débrouillardise, Bertha alors âgée de 39 ans, possédait les capacités techniques et savait conduire. Non seulement elle a contribué financièrement au projet en y investissant la totalité de sa dot, mais elle a également participé à l’élaboration de son design. C’est donc à l’aube, sans permis des autorités locales et à l’insu de son mari, que Bertha, accompagnée de ses deux adolescents Richard et Eugène, sort en douce le Motorwagen Modèle III de l’atelier. Le prototype, inspiré des vélos, est un hybride entre un gros tricycle et une calèche, propulsé par un moteur à combustion interne. Avec ses fils, elle le pousse assez loin pour démarrer l’engin sans craindre de réveiller l’homme de la maison. Son excuse, rendre visite à sa mère qui habite Pforzheim à 104 km de là, soit l’équivalent de la distance Montréal-Plattsburgh. Mais son objectif réel consiste à prouver à son mari que son invention tient la route.
Un parcours semé d’embûches et de défis !
De nos jours, parcourir 104 km n’a rien d’impressionnant, mais à l’époque, faire une telle distance sur des chemins en terre battue relevait pratiquement de l’exploit et Bertha sait dès le départ qu’elle aura trois problèmes à gérer.
- Le réservoir d’eau qui servait à refroidir le moteur doit être rempli à cause de l’évaporation. À plusieurs reprises, le trio est contraint de faire des arrêts au puits pour s’approvisionner.
- Quant au réservoir d’essence situé à même le carburateur, il ne contient que de 4,5 L. Avec une consommation moyenne estimée à 10 L/100 km, un ravitaillement en cours de route s’avère essentiel pour arriver à destination. Les stations de service n’existaient pas encore. Le Motorwagen carbure à la ligroïne, un dérivé de pétrole utilisé comme solvant et vendu chez l’apothicaire, la pharmacie de l’époque. C’est dans le village de Wiesloch que Bertha s’arrête pour « faire le plein ». Le propriétaire de l’établissement est loin de se douter que grâce à cette femme, son commerce, qui existe toujours, deviendra la première station d’essence au monde.
- Équipé d’un monocylindre qui produit un maigre 2,5 CV (l’équivalent actuel d’un moteur de chaloupe) et de deux vitesses, le Motorwagen, qui pèse 360 kg, requiert qu’on le pousse pour gravir les côtes.
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La nécessité, mère de l’invention
Mais après les montées viennent les descentes. Bertha n’avait pas prévu que les freins en bois s’useraient rapidement… Pour remédier au problème, elle s’arrête chez un cordonnier pour faire fabriquer des semelles en cuir qu’elle installe sur les freins, devant le regard stupéfié des villageois. C’est ainsi qu’elle invente les plaquettes de frein ! Lorsque la chaîne qui entraîne les roues se brise, elle fait appel à un forgeron pour la réparer. Pour débloquer un conduit de carburant, elle utilise sa pince à chapeau et à la suite d’un court-circuit, elle se sert de sa jarretière pour isoler un fil d’allumage. Des astuces auxquelles seule une femme aurait pensé ! Je serais curieuse de savoir quelles solutions les messieurs de l’époque auraient trouvées !
Après 12 heures de cavale à une vitesse moyenne de 12 km/h, le trio arrive à destination au coucher du soleil. Au lieu de revenir par le même chemin trois jours plus tard, Bertha décide de prendre une autre route, dans le but de profiter au maximum de l’aventure et de sidérer encore plus de gens tout au long de son parcours. À cette époque où le cheval règne, le commun des mortels est sceptique quant à la fiabilité d’un engin bruyant qui se déplace grâce à une force mystérieuse.
Tester sur le terrain
Son voyage aller-retour Mannheim-Pforzheim d’une distance totale de 194 km à bord du Motorwagen fera d’elle la première personne à conduire une automobile sur un long trajet, en plus de faire la manchette des journaux et d’alimenter de nombreuses conversations. Plus qu’un test d’endurance, le succès de cette promenade en famille a démontré que l’invention était viable et sécuritaire. L’initiative de Bertha confirme l’importance d’expérimenter sur le terrain. Son essai dans des conditions réelles a permis de déceler les failles et les faiblesses du véhicule, pour ensuite y apporter des améliorations: l’isolation des fils, l’ajout de semelles de frein et d’une vitesse basse pour gravir plus facilement les côtes.
L’aventure marque le passage d’une machine de fabrication industrielle, le moteur à combustion, à un objet de consommation domestique. À la suite du périple de Bertha, le carnet de commandes de M. Benz se remplit. Le Motorwagen Modèle III sera la première automobile à être produite en plusieurs unités. Au tournant du siècle, la compagnie Benz & Cie, qui deviendra en 1926 Mercedes-Benz, est le plus grand manufacturier de voitures au monde.
L’héritage de Bertha
La route commémorative de Bertha Benz qui retrace son voyage aller-retour Mannheim-Pforzheim fait partie depuis 2009 des Routes européennes du patrimoine industriel. C’est sur cette même route, 125 ans plus tard, soit en août 2013, que Mercedes-Benz teste pour la première fois un véhicule en mode entièrement autonome, avec son modèle S-Class S500 intelligent drive. Encore aujourd’hui, elle sert de terrain d’expérimentation pour la mobilité du futur.
Carl a beau être le père de l’automobile, c’est Bertha qui l’a mise au monde !